Le Premier ministre israélien n’aurait plus de smartphone, de crainte d’être espionné dans le cadre des multiples affaires judiciaires qui le concernent (la police a déjà recommandé sa mise en examen dans trois dossiers pour corruption, fraude et abus de confiance). Ce sage principe de précaution n’empêche pas Nétanyahou d’accorder une importance majeure aux réseaux sociaux, dans la perspective des élections anticipées du 9 avril prochain. Un trio de choc, Topaz Lok, Shir Cohen et Yonathan Orich, âgés respectivement de 26, 27 et 30 ans, mène cette campagne virtuelle avec la même énergie que tous trois avaient déployée, auparavant, au service du porte-parole de l’armée, donc de la propagande militaire d’Israël.
Un internet précoce pour les réseaux sociaux
Nétanyahou, surnommé « Bibi » par ses partisans, avec un mélange d’affection et de respect, a contribué de manière déterminante à l’américanisation des campagnes politiques en Israël. Son première victoire, face à Shimon Pérès en 1996, doit beaucoup à son recours à des clips de propagande au message aussi percutant que réducteur. Revenu dans l’opposition en 1999, il retrouve la direction du gouvernement en 2009, avec la ferme intention de la conserver le plus longtemps possible. Lors des dernières élections de 2015, il ne craint pas de poster sur sa page Facebook, le jour même du scrutin, une vidéo où il lance cet avertissement, face caméra : « Les Arabes viennent voter en masse, transportés par des bus des ONG de gauche ». Pour cette intervention d’une virulence inédite, Nétanyahou a profité d’un angle mort de la législation israélienne en matière de campagne électorale, qui interdit les messages sur les médias traditionnels, mais reste muette sur les réseaux sociaux.
Le Premier ministre a depuis lors combattu avec succès toute tentative de légiférer sur l’utilisation politique des réseaux sociaux. Une des trois affaires pour laquelle la police a recommandé sa mise en examen, dite « dossier 4000″, concerne d’ailleurs des facilités accordées par Nétanyahou au groupe de télécommunications Bezeq, alors qu’il était, de 2015 à 2017, son propre ministre des Communications. Le chef du gouvernement avait alors nommé directeur général du ministère des Communications un de ses plus proches collaborateurs, Shlomo Filber, qui aurait accordé de substantielles facilités à Bezeq, y compris de manière frauduleuse. La contrepartie de tels gestes aurait consisté en une couverture très favorable à Nétanyahou de la part du site d’information électronique Walla, filiale de Bezeq. Walla, dont la complaisance envers « Bibi » finissait par faire jaser, a révisé sa ligne éditoriale depuis l’ouverture du « dossier 4000″. Quant à Filber, il a accepté de devenir témoin à charge contre Nétanyahou, qui a exigé en retour, le 7 janvier, de lui être confronté, au cours d’une intervention télévisée suivie par plus de quatre millions d’Israéliens (soit la moitié de la population).
« C’est comme le football sans Messi »
Ce même 7 janvier, le Premier ministre martelait sur son compte Instagram que, le « dossier 4000 » n’impliquant aucun versement de pot-de-vin, « une corruption sans argent, c’est comme une omelette sans oeuf » voire… « le football sans Messi » (capture d’écran ci-dessus). Les railleries que des propos aussi outranciers ont pu provoquer ne doivent pas masquer l’enthousiasme qu’ils suscitent chez les inconditionnels de « Bibi ». Ceux-ci alimentent sur les réseaux sociaux la conviction que le Premier ministre est la cible d’une vaste et obscure machination, où la justice, la police et les médias auraient partie liée avec « la gauche », et naturellement « les Arabes ».
Une campagne « 2009-2019 » a, au même moment, été lancée sur les comptes Nétanyahou, reprenant la propension des réseaux sociaux à comparer « l’avant » et « l’après », mais cette fois pour mettre en valeur le bilan du Premier ministre après dix ans de pouvoir. La photo de la frontière avec l’Egypte (en ouverture de ce post) vise ainsi à conforter la légitimité « sécuritaire » du chef du gouvernement, qui y a ordonné l’édification d’un mur barbelé. Un tel mur, dont Trump s’est explicitement inspiré pour son projet avec le Mexique, visait surtout à endiguer le flux par le Sinaï d’immigration illégale d’origine africaine. L’indignation engendrée par une telle mise en scène ne saurait occulter la profonde popularité de la lutte contre les « infiltrés » africains auprès de la base de Nétanyahou. Les autres parallèles dressés lors de cette campagne 2009-2019 sont à la fois aussi choquants et aussi efficaces.
En tant que Premier ministre, Nétanyahou détient cinq comptes Twitter et cinq pages Facebook, en hébreu, anglais, arabe, russe et persan, ainsi qu’une chaîne Youtube et un compte Instagram. La présidence du gouvernement dispose d’un budget de promotion de posts de propagande pro-Bibi, de même que son parti, le Likoud. Ce sont cependant les comptes personnels de Nétanyahou, aux sources de financement d’une totale opacité, qui apparaissent les plus populaires. La page Facebook de Nétanyahou compte ainsi 2,3 millions d’abonnés, pour un total d’abonnés aux comptes de Nétanyahou estimé à quelque cinq millions. Même si une proportion importante de ces abonnés ne réside pas en Israël, le chiffre est considérable dans un pays qui compte 6,6 millions d’usagers de l’Internet. Une réalité de moins en moins virtuelle qui risque de peser sur le scrutin du 9 avril.
Photo de couverture : Mise en scène par Nétanyahou de la frontière entre Israël et l’Egypte, en 2009 et en 2019.